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EUTHANASIE

L'AUTHANASIE, c'est un permis de tuer, c'est le droit de doner la mort à son prochain.

Comme dit le proverbe:

"Sui veut tuer son chien, dit qu'il a la rage"

Voilà quatorze bonnes raisons de nous opposer à l’euthanasie.

  1. Une société ne rompt pas avec l’interdit de donner la mort sans conséquences. Cet interdit fondamental, commun à toutes les civilisations, à toutes les cultures, ne peut faire l’objet d’aménagements sans repousser, mécaniquement, plus loin les limites de la transgression.
  2. Aucun Homme n’est jamais indigne. Face à certaines fins de vie, il faut peut-être parfois s’en convaincre mais un principe n’est jamais facile à tenir. Toute action sur la fin de vie devrait être fondée sur ce principe et non sur cette concession scandaleuse et littéralement délétère que ferait la société en admettant que certaines vies seraient indignes au point que seule la mort viendrait les rétablir dans la dignité. On admire Mère Teresa : elle soignait les lépreux, elle ne les achevait pas.
  3. On n’assure pas la dignité d’un Homme en lui donnant la mort. On doit garantir la dignité dans la vie et non par la mort. Au prétendu droit de mourir dans la dignité1, il faut opposer le droit de vivre dans la dignité. Il n’y a pas d’autre choix concevable que d’être aux côtés de ceux qui se battent chaque jour pour assurer la dignité d’une personne mourante, plutôt que de ceux qui, de loin, préconisent l’injection.
  4. L’euthanasie est une démission collective. Elle est l’ultime option d’une société qui a abandonné l’ambition d’être une société, une communauté qui prend soin des siens, une société qui a abandonné l’ambition d’assurer la dignité de ses mourants. Par l’euthanasie, elle tend à effacer, à supprimer, le problème, elle ne le traite pas.
  5. L’euthanasie est le choix d’une société matérialiste, égoïste et individualiste, qui n’accepte pas la faiblesse, la fragilité. Elle cultive la jeunesse, la beauté, la fête, le corps. Le handicap lui fait horreur : il est éliminé ou éloigné. La mort terrifie ? Elle est cachée, elle est hâtée.
  6. On prend un risque à accepter une demande de mort : celui qu’elle signifie autre chose. Nous frémissons tous à l’idée que l’on puisse exécuter un innocent et l’on se mobilise régulièrement contre cela. Nous devrions frémir aussi à cette idée : euthanasier quelqu’un qui ne le souhaitait pas véritablement. Souffrir et voir son corps ou son esprit se déliter : comment ne pas souhaiter que cela cesse ? Mais que souhaite-t-on voir cesser : la souffrance et le sentiment d’indignité ou la vie ?2 Tous nos efforts et toute notre ambition collective devraient porter à l’annihilation de la souffrance et à l’assurance de la dignité. On se fixe des objectifs ambitieux en bien des domaines, et on en atteint qui paraissent irréalistes, pourquoi baisserait-on les bras ici ?
  7. Le choix est illusoire. Poser un vrai choix suppose qu’il existe une alternative, qu’on en connaisse l’existence et que cette alternative soit effective. Comme l’écrit Axel Kahn, ancien président du CCNE3, « réintroduire la dimension du libre arbitre exige de rétablir les paramètres d’une vie non seulement supportable, mais aussi désirable ». Qui connait véritablement les soins palliatifs ? Qui s’est mobilisé pour que les soins palliatifs deviennent une réalité ? Il est en outre abusif de faire croire que l’on peut préjuger aujourd’hui de notre volonté en ce moment si spécifique et imprévisible que sera notre mort : ce que l’on pense aujourd’hui ne prendra vraiment sens que ce jour-là. Faut-il risquer de vivre alors que l’on aurait voulu mourir, ou de mourir alors que l’on voulait vivre ?
  8. La mort est un moment à vivre. Marie de Hennezel, pionnière des soins palliatifs en France l’illustre pleinement dans La mort intime, par la mort de Jean, la mort de Marcelle, celle de Marie-France, et ce « ciao », d’une main. Si la mort pue peut-être encore davantage que celle qu’elle raconte, si elle peut-être parfois un cri de souffrance et de solitude, elle est aussi pour certains ce passage invraisemblable durant lequel le mourant se met en paix. Aussi insensé que cela puisse paraître, il faut ménager le temps de mourir. La mort ne doit pas être hâtée.
  9. L’euthanasie est un choix de bien-portants pour des mourants. Trivialement : les décideurs ne sont pas les payeurs. Emmanuel Hirsch, président de l’Espace Ethique de l’AP-HP, et de l’ARSla, rappelait un soir que les personnes atteintes d’une SLA ne demandent pas la mort, mais des synthétiseurs vocaux. Or, qui se prononce dans ces sondages sinon des bien-portants, angoissés par la mort, terrifiés par la déchéance et intimement persuadés de l’indignité des hommes en fin de vie ? « Life may be worth living in a locked-in syndrom » : c’est le titre d’une étude européenne qui souligne que, même dans cette situation extrême, les malades évoquent encore une « qualité de vie ». Vraiment, pouvons-nous juger, dans l’absolu ou face à une situation concrète, de la dignité d’un état de vie ?
  10. La demande de mort est extrêmement minoritaire. Avec Emmanuel Hirsch, Catherine Kiefer rappelait qu’en 10 ans d’exercice, elle n’avait connu qu’une demande d’euthanasie. Il y a aussi cette oncologue (spécialiste en cancérologie) qui rapporte à Rue89 qu’en 25 ans d’exercice, elle n’a pas connu de demande d’euthanasie qui dure. Les débats artificiellement entretenus et renouvelés par certains parasitent la réflexion. Faut-il bouleverser un fondement de notre vie sociale pour des cas peu fréquents, et que l’on peut grandement gérer ?
  11. Autoriser l’euthanasie active portera un coup fatal au développement des soins palliatifs. C’est pourtant la seule solution d’une dignité véritable, et l’honneur d’une société. Ce développement est réclamé avec insistance par les praticiens (parmi lesquels Didier Sicard, ancien président du CCNE), mais il faut une volonté politique et sociale forte pour développer la démarche des soins palliatifs. Les soins palliatifs en hôpitaux demandent du temps, du personnel, de l’argent. Face à l’assurance d’une fin plus rapide, soulageant aussi ceux qui restent et les finances publiques, le recours à l’euthanasie sera-t-il vraiment sourcilleux ?
  12. Nous avons dégagé une « voie française », largement ignorée des Français, qui continuent d’appeler de leurs vœux l’instauration d’une situation qui existe déjà. Depuis la récente loi Leonnetti, du 22 avril 2005, l’un des tous premiers articles du du Code de la Santé Publique, l’article L.1110-5, prévoit que les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable » et que « lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». Ce même article prévoit que « dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10 » – c’est-à-dire les soins palliatifs – ou encore que « les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort ».  Plus explicitement encore, l’article L. 1111-10 du Code de la Santé Publique dispose que « lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix ». Dans ce cas, l’article 1111-10 prévoit que « le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L.1110-10 », lesquels « visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ». Au titre de ces soins, comme le décrit le guide « droit des malades et fin de vie »4, le médecin peut administrer une sédation, faisant perdre conscience au malade. Les Français ignorent la loi, en partie par manque de volonté politique. Les Français s’affirment favorables à une loi sur l’euthanasie, mais elle existe ! Connaissent-ils seulement ces dispositions ? 56% des sondés affirment que l’euthanasie ne devrait être possible que « dans certains cas ». Lorsqu’ils affirment ingénument qu’elle devrait être réservée aux « maladies insupportables [par opposition aux maladies cools ?] et incurables », connaissent-ils l’article L.111-10, applicable aux affections graves et incurable ? Sur les divers sites, les commentateurs fustigent l’acharnement thérapeutique. Savent-ils que cet acharnement est unanimement condamné, et clairement exclu par l’article L.1110-5 du Code de la Santé Publique ?Ainsi, les Français, non informés voire désinformés, ignorent ce qui figure dans la loi et appellent de leurs vœux ce qui existe déjà.
  13. Nous n’échapperons pas, en France, aux dérives de l’euthanasie. Nous n’échapperons pas à cette prétendue compassion, un peu trop empressée. Nous n’échapperons pas non plus aux déviances de ces pays que l’on nous dit « en avance » : Pays-Bas, Belgique, mais également Suisse. Aux Pays-Bas et en Belgique, on en est venus à l’euthanasie des déments, des enfants, des dépressifs. En France, la dérive de l’ADMD est là, sous nos yeux, et sa finalité se cache sous des périphrases iréniques. Le droit de mourir dans la dignité était il y a vingt ans une demande de soins palliatifs. Il est devenu une demande de mort. Et l’ADMD milite aujourd’hui pour le suicide assisté. Aujourd’hui, la loi permet au malade qui souhaite mourir de faire interrompre son traitement et de se voir administrer une sédation. N’a-t-on pas atteint un point d’équilibre, voire de rupture ?
  14. La fin de vie est instrumentalisée par une association manipulatrice et extrémiste. La fin de vie est simplifiée à outrance, réduite pour le grand public à une question d’injection, négligeant le mystère et l’inconnu. Les cas emblématiques (les affaires Humbert et surtout Tranois, Sébire ou encore Salvat) sont dramatiquement tronqués parce qu’ils sont, in fine, contre-démonstratifs (cf. notamment l’analyse d’Axel Kahn). Bien analysés, ils illustrent cruellement les dérives et déviances de l’euthanasie. Le fait d’en être réduit à utiliser des procédés malhonnêtes – malgré des sondages si favorables – devrait aiguiser l’esprit critique de l’opinion publique. En outre, alors que la loi consacre déjà le droit de faire interrompre un traitement et de se faire administrer une sédation, l’ADMD ne s’arrêtera que lorsque l’euthanasie active et le suicide assisté (hors de toute affection) seront légalisés. C’est le sens de la proposition de loi rédigée par ses soins, qui sera examinée le 16 novembre 2010 en faveur de l' »aide active à mourir ». L’euthanasie passive existe déjà, mais l’ADMD tient à ce que le médecin administre directement la mort. Pour parvenir à ses fins, l’ADMD ment aux Français, en prétendant sans relâche – comme le fait encore Jean-Luc Romero ces jours-ci – qu’il faudrait aujourd’hui encore adopter une loi sur l’euthanasie et ouvrir un débat parlementaire, qui s’est tenu à de multiples reprises et a donné lieu à une loi dont l’évaluation en 2008 a conduit à l’établissement d’un rapport parlementaire.

On ne doit pas se résoudre à l’impuissance. On ne doit pas se résoudre à la trompeuse simplicité d’une injection létale. Pour être digne d’être appelée ainsi, notre société ne doit avoir d’autre objectif que de convaincre un Homme qui souffre, un Homme diminué, que sa vie a toujours un prix, que, quel que soit le regard qu’il porte sur lui-même, il est digne.

 

Non à l'euthanasie et au suicide assisté: Aucune condition particulière ne les justifie

Ce qui suit s'agit d'une version abrégée d’un mémoire présenté au Collège des médecins du Québec le 30 août 2009 par Joseph Ayoub, m.d. André Bourque, m.d, Catherine Ferrier, m.d., François Lehmann m.d., et José Morais,m.d.. Le mémoire a aussi reçu l’appui d’un nombre significatif de médecins de la province de Québec.

Le débat sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne cesse de ressurgir au Canada et au Québec depuis les derniers vingt ans. Le mouvement en faveur de l’euthanasie motive son instauration sur la nécessité de respecter l’autonomie et la « dignité » de la personne. Nos tribunaux ont été interpellés sur quelques cas particuliers au cours des dernières années et la Cour Suprême du Canada a réaffirmé la valeur intrinsèque de la vie humaine et les limites imposées à l’autonomie de la personne qui souhaite mettre fin à ses jours. Le mouvement en faveur de l’euthanasie s’est donc retourné vers la seule issue légale possible: le parlement du Canada et l’amendement du droit criminel. Le Projet de loi C-384, présenté par Mme Francine Lalonde, députée du Bloc Québécois, en est la plus récente manifestation.

L’adoption du projet de loi C-384 rendrait légal l’euthanasie et le suicide assisté au Canada. Puisque nous allons tous un jour connaître la mort, la question soulevée est au cœur de ce que nous pouvons avoir comme conception de la personne. Elle interpelle toute la société. Les enquêtes d’opinion sur l’euthanasie sont difficiles à interpréter mais une constante demeure: celle du désir des personnes de se voir entourées et soutenues, et épargnées de la douleur et des souffrances terminales. Certes, lorsqu’on demande aux personnes si elles sont favorables à l’euthanasie dans le cas où une personne n’est pas soulagée de douleurs atroces, il est prévisible que la majorité des individus vont répondre que oui. Cela place les individus devant le choix entre l’euthanasie et une absence de soins appropriés pour le soulagement de la douleur, et donc de choisir l’euthanasie comme modalité de soulagement de la douleur. Pendant que le débat des dernières années sur l’euthanasie s’est poursuivi, des milliers de patients sont décédés de diverses maladies terminales sous les soins de personnels compétents, et avec l’entourage de la famille et de bénévoles. Nos hôpitaux et autres établissements de santé ont au cours des 30 dernières années développé des services de soins palliatifs tels qu’il n’y en avait jamais eu auparavant. Il reste encore beaucoup à faire, particulièrement pour la catégorie des patients atteints de maladies chroniques et qui n’ont que quelques mois ou quelques années de vie devant eux. Les questions éthiques entourant les soins proportionnés, l’acharnement thérapeutique, l’interruption de traitement et le soulagement de la douleur sont quotidiennement au cœur des discussions dans les milieux d’enseignement et de pratique de la médecine.

La très grande majorité des malades qui terminent leur vie dans un état de diminution physique et psychologique arrivent à la fin naturelle de leur vie dans un environnement de soutien et de palliation bien supérieurs à tout ce qu’on avait connu auparavant. Nous sommes encore loin des limites de ce que peuvent offrir les soins palliatifs. Les avancées pharmacologiques et les moyens thérapeutiques de la radio-oncologie et de la chirurgie oncologique permettent de soulager les malades de beaucoup de malaises pour lesquels on n’avait auparavant que peu de solutions. La maîtrise de la douleur est certes parfois incomplète dans les états terminaux et il arrive qu’on ne puisse l’obtenir sans des effets secondaires de sédation, que le malade ne souhaite pas. Il est considéré une bonne pratique médicale et même une obligation d’utiliser les opiacés et tout l’arsenal analgésique disponible dans l’intention d’apaiser le plus possible la douleur du malade, même si c’est au prix d’abréger ses jours par les effets secondaires de la médication (ce qui est très rarement le cas). Depuis les dernières années, des pratiques d’induction du sommeil sont venues compléter l’arsenal thérapeutique pour les plus rares cas de douleur très mal maîtrisée.

Pour reprendre les mots de l’éthicienne Margaret Somerville, c’est la douleur qu’il faut tuer, pas le malade. La pharmacologie et les autres modalités de la médecine et de la chirurgie feront encore des avancées dans le soulagement de la douleur, mais la souffrance existentielle du malade atteint d’une maladie terminale demeurera toujours un phénomène lié à notre humanité, à notre quête de sens pour nos tourments immédiats, à nos croyances sur l’au-delà: souffrance et humiliation de se voir diminué physiquement et mentalement, de se voir dépendant et de se considérer un poids pour les autres, humiliation de devoir se plier à recevoir de l’aide pour les besoins de l’hygiène, peine de devoir quitter ceux que l’on aime, peine d’être témoin des souffrances des proches. Plus que les douleurs « incoercibles », c’est cette souffrance qui peut amener le malade dont les jours sont comptés à sombrer dans le découragement ou la dépression et à demander que l’on abrège ses jours. La grande majorité de ces malades trouveront un réconfort dans leur souffrance par la sollicitude de l’entourage ou parfois par la médication antidépressive. La pratique démontre aussi que la demande à mourir est une sorte de cri du cœur qui est le plus souvent un appel à la sympathie et ne représente pas une demande concrète d’euthanasie.

Il demeure qu’il y aura toujours dans nos sociétés le problème des personnes atteintes de maladies terminales et dégénératives sévères, qui voient venir les complications de leur maladie, qui ne sont pas nécessairement déprimées, qui bénéficient de beaucoup de support et de soins mais qui voudraient mettre fin à leurs jours en un temps et un lieu, et qui ne sont pas capables de le faire seules. Ces personnes ne voient plus de sens à ce qui leur reste à vivre naturellement, et l’échéance naturelle avant leur mort est parfois longue. Les personnes qui demandent l’euthanasie dans ces circonstances ne sont pas nombreuses dans notre société et la majorité de ceux et celles qui ont une condition physique semblable à la leur ne souhaitent nullement mettre fin à leurs jours. Il ne sera jamais possible de discriminer en fonction de l’âge et de la sévérité de l’atteinte ou de l’espérance de vie dans ce groupe de personnes car ce qui est véritablement en jeu est le droit au suicide. Or notre société a choisi pour de très bonnes raisons, que la personne suicidaire et qui est capable de poser un geste de suicide, peut être retenue de passer à l’acte.

C’est le sort de ces personnes, que la souffrance mène à demander qu’on les aide à abréger leurs jours, qui motive le mouvement en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Nous ne devons pas nier que ces situations existent ni affirmer que ces personnes sont toutes déprimées ou inaptes à donner un consentement éclairé à leur demande. Ces personnes doivent être entendues et aidées le plus possible, mais leur demande demeure pour nous absolument irrecevable.

Il y a aussi un autre groupe de patients dont le sort nous interpelle: celui des malades en voie de mourir et dont l’agonie n’en finit plus. Les derniers mois et les dernières semaines de la vie sont pour certains malades un lent atterrissage où les organes fléchissent les uns après les autres, où la peau se détériore, où il vient un temps que l’esprit n’y est plus, et où les fonctions vitales ne tiennent qu’à un fil. Les soins sont toujours exigeants pour le personnel et les familles s’épuisent de veiller le malade, ne demandent qu’à voir arriver la fin et demandent parfois au médecin d’intervenir. La tentation en pareilles circonstances serait d’autoriser le médecin à mettre un terme à l’agonie. La frontière entre la palliation et l’euthanasie peut sembler ténue pour certains puisque la distinction entre l’une et l’autre sera dans l’intention du geste et non pas dans ce qu’il comporte. L’interdit total de l’euthanasie doit cependant demeurer même dans ces situations.

En terminant nous retenons 9 arguments pour lesquels l’euthanasie et le suicide assisté ne devraient jamais être dépénalisés.

  1. Les demandes d'euthanasie disparaissent lorsque la famille et le patient reçoivent le support ou les soins qui leurs sont dus. La pratique de la médecine nous enseigne que les patients qui expriment le désir de mourir le font le plus souvent parce qu’ils ont besoin de réconfort, qu’ils sont déprimés, ou que leur douleurs et leurs symptômes ne sont pas bien contrôlés. Pour la très grande majorité, les bons soins médicaux, le traitement de la dépression ou l’approche palliative sont les solutions à leur demande. Les patients qui demandent à mourir changent aussi souvent d’idée avec le temps. Souvent la demande origine non pas des malades, mais plutôt des familles qui sont épuisées, alors que le malade, lui, n’a pas demandé qu’on hâte sa mort : le plus souvent, lorsque la famille est mieux épaulée, la demande disparaît. Quand il y a de la souffrance, il vaut mieux chercher de trouver un sens à la vie qui reste, développer des stratégies pour faire face aux questionnements existentiels et travailler pour les soins optimaux, que de trouver un raccourci vers la mort.
     
  2. Le médecin à tout à sa disposition pour soulager n'importe quelle souffrance physique.  Faire mourir le patient n’est pas une solution humaine pour soulager les situations dramatiques de douleur ou de souffrance terminales : le médecin a toujours le devoir de faire mourir la douleur, et non pas de faire mourir le patient. La proposition d’euthanasie marque un refus de confiance à l’égard des progrès de la science médicale. Il n’y a pas de limites imposées au médecin lorsqu’il met en œuvre les moyens pour soulager la douleur. Ces moyens sont larges, accessibles, de plus en plus élaborés et progressent sans cesse. Dans les cas extrêmes, la sédation profonde qui fait dormir le malade peut même être une solution ultime pour le soustraire aux souffrances jusqu’à ce qu’il meure de causes naturelles. En présence d’états terminaux il n’y a pas d’obstacles à l’arrêt des traitements jugés futiles ou disproportionnés par le patient ou par le médecin. Il existe toujours des issues, même pour les cas plus complexes. Il n’y a pas de questions taboues sur la mort au sein de la profession médicale. Le questionnement sur l’acharnement thérapeutique et l’interruption des traitements futiles ou disproportionnés, les refus de traitement par les patients autonomes, sont au cœur de la clinique et sont abordés ouvertement et sereinement par les médecins en pratique et dans le cadre des programmes de formation. Les médecins connaissent bien la frontière qui existe entre le soulagement de la douleur et l’euthanasie.
     
  3. Une modification de nos lois pour satisfaire à un petit nombre mettra en péril la vie d'un beaucoup plus grand nombre. Il y a néanmoins des personnes qui revendiquent sérieusement ou avec insistance l’euthanasie ou le suicide assisté. Elles sont très peu nombreuses. Les demandes sont généralement liées à la personnalité de l’individu et au besoin qu’il ressent de contrôler sa vie… et sa mort. La très grande majorité des personnes dans une situation similaire à la leur ne demandent pas qu’on intervienne pour abréger leurs jours. La liberté et l’autonomie de la personne s’arrêtent là où elles empiètent sur celles des autres membres de la société. Une modification de nos lois pour satisfaire la demande de ce petit nombre de personnes mettra en péril la vie d’un beaucoup plus grand nombre, qui n’étaient même pas initialement visées. L’expérience des quelques pays qui se sont aventurés dans la voie de l’euthanasie et du suicide assisté démontre que les pratiques deviennent vite ingérables malgré la mise en place de contrôles et de balises : les protocoles ne sont pas respectés, les consentements non obtenus, les pressions des familles se font fortes et difficiles à gérer. Des personnes qui ne le demandaient pas sont mises à mort.
     
  4. La dépénalisation de l’euthanasie est une « pente » qui mène inévitablement vers un glissement plus large, difficile à contrôler. Les médecins dans les pays où l’euthanasie est légale en ont l’expérience. Dès qu’on accepte de faire mourir les patients dans un état terminal et qui le demandent, on devient confronté à la demande des malades avec des handicaps et des atteintes chroniques qui les minent, puis à celle des patients avec des atteintes psychologiques, puis à s’interroger sur le sort des nouveaux-nés fortement handicapés…qui ne demandent pas à mourir. Des personnes même jeunes et atteintes de maladies chroniques invoqueront les chartes pour qu’on ne discrimine pas envers elles dans leur demande de suicide assisté, et qu’on les aide donc à mettre fin à leurs jours. Accepter que donner la mort peut être une solution pour un problème ouvre la porte à donner la mort pour cent autres. L’euthanasie deviendra une « issue thérapeutique » vers laquelle des personnes se tourneront pour soulager leurs souffrances, alors qu’il y a beaucoup d’autres options.
     
  5. La dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté engendrerait des pressions indues sur les personnes avec des atteintes chroniques, des handicaps sévères, ou les personnes qui doivent recevoir beaucoup d’aide ou des traitements coûteux: ces personnes en viendraient à avoir le sentiment qu’elles sont un fardeau indu pour les proches ou la société, et qu’elles devraient considérer l’euthanasie ou le suicide assisté. L’euthanasie aura des retentissements défavorables sur les attitudes sociales envers les personnes gravement malades, avec des handicaps, ou d’un âge avancé.
     
  6. Ni la maladie, ni la déchéance physique ou psychologique, ni la douleur, ni la souffrance, ni la perte d’autonomie ne diminuent la dignité fondamentale de la personne. La personne n’est pas indigne du fait qu’elle dépend des autres chroniquement ou lorsqu’elle se meurt. La solution pour assurer le « mourir dans la dignité » demeure avant tout dans l’approche palliative compétente, le respect, l’accompagnement et la tendresse envers ces personnes.
     
  7. Pour donner une "droit à la mort" au patient on doit donner un "droit de tuer" au médecin. La dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté repose entièrement sur une participation de la profession médicale ; ultimement c’est le médecin qui est appelé à porter un jugement sur l’utilité de préserver la vie ou d’y mettre fin : il se voit imposé un rôle d’arbitre. Il en résulte une perte de l’autonomie des patients, au profit d’un accroissement de pouvoir de la profession médicale sur les personnes. Pour donner un « droit à la mort » au patient on doit donner un « droit de tuer » au médecin. Il s’ensuit une érosion de la relation médecin-patient, le médecin n’étant plus seulement celui qui guérit, soulage ou réconforte, mais aussi celui qui donne la mort. La mise à mort devient alors une « option thérapeutique » de la profession médicale au même titre que les autres traitements médicaux ou chirurgicaux, ce qui érode le lien de confiance envers toute la profession médicale.
     
  8. Le médecin qui participe au suicide encouragera par son geste le suicide au niveau de la société. Bien que le suicide soit parfois revendiqué comme une liberté, il demeure avant tout un drame personnel fondamentalement contraire à la nature humaine et un échec de la société. Le suicide n’est jamais sans retentissement sur les autres personnes et sur toute la société. La réponse médicale face aux tentatives de suicide a toujours été de venir en aide à la personne : elle doit le demeurer. Le médecin qui participe au suicide encouragera par son geste le suicide au niveau de la société.
     
  9. L’interdit de l’euthanasie et du suicide assisté de la tradition hippocratique est plus que millénaire. Il a été une valeur forte de générations de médecins qui y ont adhéré. Il demeure empreint de sagesse et de compassion et mérite d’être défendu avec fermeté.