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Le JUGE NEUTRE est ce possible ? |
Le débat entre l’objectivité et la subjectivité a toujours fait rage en philosophie. Est-ce qu’une personne est capable, pour prendre une décision, de faire abstraction de toutes ses pulsions et préjugés pour être entièrement rationnelle ?
A écouter "DESCATES" et son célèbre « je pense donc je suis », il semblerait que la réponse pourrait être positive!
En effet une personne en réfléchissant peut poser le pour et le contre afin de choisir la décision la plus objective possible, mais :
Avec une approche "FREUDIENNE", la réponse semble négative eu égard à son déterminisme.
En effet, les décisions d’une personne seraient, notamment, très conditionnées par les évènements de son enfance. Et inconsciemment, ce conditionnement influencerait les décisions du sujet.
Une personne est, évidemment, capable de raisonner pour prendre une décision impartiale. Toutefois, il est certain qu’une part de déterminisme existe aussi chez tout à chacun à cause de nos préjugés, et les juges autant que d'autres personnes sont de fait chargés de préjugés qui les empêchent .
Pour un magistrat, censé être neutre et impartial, cette part de déterminisme est préjudiciable car instaurant de la subjectivité dans ses décisions et pouvant aboutir à l’arbitraire du juge qui a toujours inquiété les citoyens. Cela à juste titre car n’oublions jamais que « la force sans la justice est tyrannique » selon la célèbre formule de Blaise Pascal. Cette peur légitime provient des abus de l’ancien régime où les décisions des magistrats se révélaient totalement subjectives. Pour une même infraction, des peines totalement disparates pouvaient être prononcées allant de l’absence de sanction à la peine de mort.
En conséquence, les philosophes des lumières ont souhaité bâtir un système juridique en totale opposition de l’ancien régime. Voltaire préconisait de ne pas donner trop de pouvoirs au juge pour éviter « d’exposer le citoyen au despotisme d’une foule de petit tyrans ». La solution à ce problème fut apportée par Montesquieu, le magistrat ne devait être que « la bouche qui prononce la loi ». Ainsi le Code pénal de 1791 instaura des peines fixes. Pour une même infraction, une même peine se devait d’être prononcée. Un égalitarisme total était à constater. Toutefois ce système ne laissait aucune place aux circonstances de l’infraction.
D’où le Code pénal de 1810 introduisit des peines avec échelle, le juge pouvait désormais choisir entre un minimum et un maximum. Puis la liberté du juge s’accentua tout au long du 19ème siècle avec la prise en compte des circonstances atténuantes ou du sursis simple en 1891 mais l’apogée eu lieu en 1898 avec le principe d’individualisation des peines souhaité par Saleilles. Le 20ème siècle ne fut pas en reste avec, par exemple, la mise en place d’un droit pénal des mineurs autonomes avec l’ordonnance du 2 février 1945. Enfin ledit principe d’individualisation est, désormais, consacré à l’article 132-24 du code pénal qui dispose que « la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. ». Ainsi, actuellement pour une même infraction, des décisions disparates peuvent être prononcées et laisser craindre des sanctions arbitraires.
Toutefois, une certaine défiance à l’égard des magistrats est de nouveau à constater notamment avec la mise en place des peines planchers réduisant le principe d’individualisation de celles-ci. Cependant, avec la réforme souhaitée par notre garde des sceaux, Christiane Taubira, prévoyant la suppression des peines planchers et la mise en place de la contrainte pénale, cette défiance est à nuancer.
Que peut donc faire le juge qui a, de facto, une obligation de loyauté et de neutralité envers le justiciable pour lutter contre le risque des décisions subjectives pouvant naître à cause du, nécessaire, principe d’individualisation des peines ?
Tout d’abord, une condition préliminaire avant toute prise de décision est indispensable. Le juge doit, en effet, apprendre à se « connaître » pour débuter en étant le plus objectif possible (I). Ensuite, concernant la prise de décision à proprement dite, deux étapes sont à distinguer. Premièrement la phase de la caractérisation de l’infraction, le juge se doit d’être très objectif et pour cela la loi et la jurisprudence vont l’aider dans cette tâche en ne lui laissant que peu de possibilités d’interprétation possible ou, autrement dit, peu de marges de manœuvre (II). Deuxièmement lors de la détermination de la sanction : dans cette phase, la subjectivité du juge sera présente en raison du principe d’individualisation de la peine nécessitant la prise en compte des circonstances de l’infraction pour prononcer une sanction « juste ». Cette notion renvoyant à l’équité est, naturellement propre à chaque juge et à sa conception de la justice. Car n’oublions pas que selon Portalis, le juge est « le ministre de l’équité ». Cependant, cette subjectivité est, néanmoins, atténuée par la jurisprudence et le système de la collégialité (III).
I : une condition préliminaire : apprendre, pour le juge, à se connaître
En premier lieu, avant toute prise de fonction, le juge devrait apprendre à se « connaître ». Le juge doit, en conséquence, prendre conscience de ses préjugés inconscients.
Pour ce faire, l’enseignement de Pierre Daco, psychothérapeute Belge, est primordial. Il propose, en effet, dans son ouvrage, Les triomphes de la psychanalyse, que les personnes exerçant des métiers à haute responsabilité, à l’instar des magistrats, se fasse psychanalyser en vue de prendre conscience de leurs préjugés (positifs ou négatifs), de leurs peurs, des choses susceptibles de les mettre en colère ou en joie,… En effet, la connaissance de nos préjugés, qu’ils soient positifs ou négatifs, permet de prendre davantage de hauteur lors d’une prise de décision.
Un exemple vaut mieux que mille mots. Si un magistrat a connu, par exemple, des violences intrafamiliales lorsqu’il était jeune, cela peut influencer inconsciemment ses décisions. Ainsi, il doit prendre conscience que cet évènement a eu davantage d’incidence qu’il ne le pensait sur sa personnalité. L’impact de cet évènement ne doit en aucun cas être sous-estimé par le juge au risque, qu’inconsciemment, il soit très sévère et subjectif lors du rendu de sa décision. D’où la prise de conscience de ses préjugés peut l’aider à les corriger et à rendre des décisions objectives et impartiales sans que son regard sur un fait de violence intrafamiliale ne soit biaisé.
Il est certain que la psychanalyse d’une personne est un travail de longue haleine nécessitant des mois de travail et, par conséquent, un coût financier important. Toutefois, les citoyens sont en droit d’attendre de leurs juges, pour régler leurs litiges, des décisions où le pour et le contre sont pesées de manière impartiale et non pas influencées par les préjugées inconscients de certains magistrats. C’est pourquoi, il conviendrait avant toute prise de fonction ou, autrement dit, durant la scolarité, de psychanalyser les futurs magistrats. Cette psychanalyse aurait lieu, pour les juges de l’ordre judiciaire, à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) et, pour les juges de l’ordre administratif, à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA).
Malgré le fait que cette procédure ne soit pas effectuée lors de la scolarité, les juges sont capables d’introspection permettant, au moins, a minima de prendre conscience de leurs préjugés.
Une fois cette étape effectuée permettant au futur juge d’être dans les meilleures conditions possibles, la prise de décision peut débuter.
II : la caractérisation de l’infraction : une objectivité nécessaire
La caractérisation de l’infraction est un moment essentiel dans la prise de décision. En effet, le magistrat se doit de décider si le suspect a, ou non, commis une infraction. Ici, aucune place à la subjectivité ne doit être permise. Pour ce faire, les magistrats disposent de l’aide de la loi et de la jurisprudence qui doivent leur apporter des contours stricts à ne pas dépasser.
Premièrement, la loi en indiquant précisément les conditions nécessaires pour commettre une infraction, limite l’interprétation subjective que peut faire le magistrat de la lettre de l’article. Par exemple, l’infraction de vol, prévue à l’article 311-1 du code pénal, nécessite la « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ». La lettre de l’article ne laisse aucune place au doute, il faut que le voleur prenne une chose qui appartient à un tiers en le sachant pertinemment. Si une personne prend une chose appartenant à quelqu’un en pensant que la chose lui appartient ce n’est pas un vol. De même, pour le crime de viol nécessitant, pour être caractérisé, un acte de pénétration. La lettre de l’article peut paraître froide et à mille lieux de ce que la victime a pu ressentir et pourtant ce terme, acte de pénétration, est dépourvue d’ambiguïté. Ainsi, il suffit de savoir s’il y a, ou non acte de pénétration pour savoir s’il y a eu un viol et le ressenti de la victime (ou du juge) sur la situation n’importe pas et ne doit pas importer. Cela permet, pour un même cas d’espèce, d’aboutir à la même décision et peu importe qui est le juge devant statuer sur l’affaire.
Deuxièmement, la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, a pour objectif de faciliter cette prise de décision objective qui est un gage de sécurité pour le citoyen. Ainsi, en droit administratif, l’ordre public est composé de la sécurité, tranquillité et salubrité publique. Ces trois composantes permettent une certaine objectivité car le juge doit seulement constater une situation pour considérer si le trouble à l’ordre public a lieu ou non. Avec, néanmoins, un bémol à cause de l’ajout de l’atteinte à la dignité humaine, considération morale et subjective par excellence nuançant l’effet protecteur de la jurisprudence puisque le juge se doit de porter un jugement de valeur sur une situation pour prendre sa décision.
Après la caractérisation de l’infraction, si le suspect a effectivement commis un acte répréhensible, une sanction doit être prononcée.
III : la détermination de la sanction : une subjectivité tolérée
Lors de la détermination de la sanction, le principe d’individualisation des peines prend toute son ampleur et le juge dispose d’une quasi-liberté pour décider de la sanction. En effet, le Code pénal ne fait que prévoir une peine maximale et pour le reste, en principe, le juge est libre. Par exception, bien que cela soit limité, il existe, toutefois, des peines obligatoires que le juge doit prononcer limitant ledit principe telles que la peine plancher ou la peine complémentaire de confiscation dans certains cas par exemple. Lors de cette phase, la marge de manœuvre du juge, et donc sa subjectivité, est élevée et cela est bien normal car les circonstances lors de la commission d’une infraction doivent avoir une incidence sur la peine prononcée.
Naturellement, certains éléments inhérents aux faits sont pris en compte tels que la violence lors de la commission d’une infraction. En effet, la loi prévoit des seuils qui en cas de dépassement augmente la peine encourue notamment avec les seuils d’interruption du temps de travail (ITT). Toutefois, ces seuils ne sont pas précis et ne prennent pas en compte la volonté du délinquant de recourir de manière volontaire ou, a contrario, plus fortuite, à la violence. D’où le juge doit pouvoir librement prononcer la sanction qui lui parait la plus juste. En effet, il paraît normal de distinguer un vol dont l’objet de l’infraction est destiné à être revendu et où l’objectif du délinquant est lucratif. D’un vol dont l’objet de l’infraction, est destiné, non pas à être revendu, mais à améliorer le quotidien d’une famille en difficulté et où il n’y a aucun objectif lucratif.
On peut néanmoins critiquer le fait que des éléments extérieurs aux faits soient autant pris en considération par le juge. Ainsi, les condamnés ne disposant pas d’une profession, ont deux fois plus de risque de se voir décerner un mandat de dépôt ou un maintien en détention qu’une personne ayant une profession. Cet état de fait est justifié par le fait d’éviter la désocialisation du condamné mais reste critiquable.
Toutefois, plusieurs contrôles sont exercés sur le juge. En effet, pour les infractions les plus graves, un système de collégialité est mis en place et le juge ne peut décider seul. La concertation permet de limiter cette subjectivité et d’aboutir à des décisions davantage objectives. De même, un justiciable insatisfait d’une décision peut faire appel garantissant une meilleure objectivité. Il est tout à fait possible qu’un juge ait des préjugés négatifs sur une personne mais il apparaît peu probable qu’un second juge dispose des mêmes préjugés. Enfin, la jurisprudence permet au juge de se renseigner avant de prendre une décision pour observer ce que ses confrères ont décidé pour des cas d’espèce analogues.
En conclusion, le juge pour assurer, au maximum, sa neutralité doit, avant toute prise de fonction, apprendre à se connaître. Ensuite lors de la prise de décision, il doit être le plus objectif possible lors de la caractérisation de l’infraction. Cependant, lors du prononcé de la sanction, une certaine subjectivité est tolérée pour prendre en compte les circonstances de l’infraction. Le droit positif connaît donc une certaine ambiguïté pour lutter contre l’arbitraire du juge Ce système n’est peut-être pas parfait mais comme le souligne Machiavel dans Le Prince, « il faut estimer comme un bien le moindre mal ».