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l'ADN et ses limites.

L' ADN à des fins policières, est t'elle infaillible?

C’est d’abord un marché concurrentiel, avec ses fournisseurs, les labos publics et privés (et leur must, la start-up privée nichée dans une structure publique et financée par une aide de l’Etat) et ses clients, les services de police et les juridictions d’instruction.

C’est ensuite un fichier de masse, alimenté à marche forcée avec l’ADN de toute personne suspectée d’à peu près n’importe quelle infraction, à l’exception notable des délits financiers.

C’est enfin, aussi bien dans l’esprit du public que dans celui des professionnels, la nouvelle reine des preuves, l’image même de l’argument irréfutable et définitif en faveur de l’innocence ou de la culpabilité des personnes mises en cause dans des procédures judiciaires.

Les textes qui se sont attachés à la critique de l’ADN policier ont beaucoup insisté sur les deux premiers points mais se sont tenus à l’écart du troisième :

On a rarement rappelé le fait que la preuve par l’ADN n’est, tout simplement, pas infaillible. Il y a, à cela, une raison évidente. En venant contester la valeur technique de la preuve par l’ADN, on se place sur le même terrain que la science et la justice. On paraît admettre que, si la preuve par l’ADN pouvait être absolument fiable, il n’y aurait plus de raison de la contester. On semble réduire la critique de l’ADN à une querelle d’expertise au lieu de la replacer dans le contexte plus global de la critique radicale de la science et de la justice en tant qu’auxiliaires de la domination capitaliste.

Mais, d’un autre côté, peut-on déserter entièrement le terrain que se sont choisi la science et la justice pour se donner ainsi une apparence d’infaillibilité ?

Refuser d’entrer dans ce débat, c’est paraître entériner le discours dominant sur l’irréfutabilité de la preuve ADN. Le but de ce texte est donc de porter l’attaque sur cet aspect des choses sans pour autant l’isoler d’une critique plus générale : l’exploration du terrain de la preuve scientifique et judiciaire sera un moyen de jeter une lumière crue sur le fonctionnement de la justice et de la science combinées pour mieux servir la répression.


Le postulat de la reconnaissance par l’ADN

L’idée de la reconnaissance d’un individu par son ADN repose sur un postulat :

Que l’ADN, un composant de la cellule porteur du programme génétique de tout être vivant, soit absolument spécifique à un individu donné, qu’il soit le même dans toutes les cellules du corps de cet individu, c’est-à-dire qu’il ne se modifie pas d’une cellule à une autre, et enfin qu’il ne soit pas affecté par des phénomènes tel que le vieillissement ou la maladie. C’est cet ensemble de conditions qui rend possible d’attribuer un prélèvement biologique, c’est-à-dire le recueil d’un certain nombre de cellules détachées du corps d’un individu, à une personne et à une seule. Si l’ADN se modifie au cours des accidents de la vie, si l’ADN change d’une cellule à une autre, si deux personnes peuvent être porteuses du même ADN, il va de soi que c’est la technique de l’identification par l’ADN tout entière qui risque de manquer de fiabilité.

Remarquons pourtant que ce postulat de départ ne peut pas, en toute rigueur, être considéré comme juste. Deux individus peuvent par hypothèse posséder le même patrimoine génétique : ce sont les jumeaux dits « homozygotes ». D’autre part, des phénomènes de mutations spontanées modifient fréquemment l’ADN contenu dans une cellule, de sorte que celui-ci possède d’infimes différences avec l’ADN des autres cellules du corps. Ces différences sont aussi induites par des phénomènes constants d’altération de l’ADN : rien qu’en fumant, les radicaux hydroxyles qui s’intercalent dans l’ADN de certaines cellules de la bouche installent une certaine variabilité de celui-ci. L’ADN des cellules qui composent les cheveux commence à se dégrader naturellement avant même qu’ils ne tombent de la tête (à tel point que les scientifiques ne pourraient jurer que cent cheveux issus de la même personne donneraient obligatoirement cent fois le même profil ADN si on les analysait tous un par un). Enfin, différentes maladies mais aussi différents traitements, comme la greffe de moelle osseuse, peuvent conduire au même résultat.

Au total, l’idée que chaque cellule du corps d’un individu contiendrait un ADN absolument identique à celui de toutes les autres est tout simplement une idée fausse. On peut cependant penser que si les analyses ADN se font à partir d’un nombre significatif de cellules, ces éventuelles différences s’estomperont et qu’apparaîtra une sorte de profil moyen de l’ADN de l’individu considéré. Mais il convient de noter que les analyses ADN actuelles reposent souvent sur une technique d’amplification très poussée, appelée PCR, qui ne prend comme échantillon qu’un nombre très restreint de cellules. La question de la fiabilité de la technique de la PCR au regard de la variabilité possible de l’ADN reste donc posée.


« Profil » et « empreinte »

L’ADN est une structure commune à tout ce qui est vivant. Cette structure se différencie ensuite suivant les espèces, selon que celles–ci sont plus ou moins proches les unes des autres ; on sait par exemple que les hommes et les chimpanzés partagent environ 98 % de leur ADN. Dans une même espèce, au sein d’une structure et de combinaisons ADN globalement identiques, il existe de petites différences entre chaque individu. Ce sont ces petites différences, que l’on peut mettre en évidence si on analyse la molécule d’ADN dans sa totalité, qui font dire que l’ADN d’une personne diffère de celui d’une autre personne et font supposer que l’ADN sera un marqueur efficace de l’identité.

Il se trouve cependant que les techniques d’identification par l’ADN ne font pas appel au décryptage intégral de l’ADN individuel. Afin de réduire les coûts et d’optimiser les techniques, il a été décidé que seules quelques zones de cet ADN seraient utilisées. On détermine donc non pas « l’empreinte » ADN d’un individu, ce qui supposerait qu’on dispose d’une vue totale de son ADN, mais un « profil » ADN. Un certain nombre de segments de la molécule d’ADN sont choisis comme marqueurs significatifs. Comme il n’y a pas eu d’harmonisation préalable de ces techniques, inventées au coup par coup par des labos différents, le nombre de segments utilisés varie. La plupart du temps on en choisit huit, mais dans certains cas cela peut aller jusqu’à quinze. Sept de ces segments sur les huit les plus souvent choisis sont considérés comme faisant partie de ce que les scientifiques appellent de l’ADN « non codant », c’est à dire qui, en l’état actuel de nos connaissances, n’est pas le support d’une information génétique directement utilisée par notre organisme. Le huitième est un marqueur du sexe. Il est ainsi possible de déterminer si une trace ADN inconnue provient d’un homme ou d’une femme, avec toutefois une certaine marge d’erreur (peut-être autour de 0,02 %) due aux éventuelles anomalies chromosomiques touchant les chromosomes sexuels.

Une trace biologique contenant de l’ADN (une tache de sang, du sperme, mais aussi de minuscules gouttelettes de salive ou des cellules de peau que l’on laisse sur les objets touchés), servira à établir un profil, fait le plus souvent de ces huit marqueurs spécifiques, qui permettra d’abord de savoir si le profil doit être attribué à un homme ou à une femme, et ensuite, éventuellement, servira à identifier un individu donné. Pour cela, on compare le profil de la trace au profil obtenu après un prélèvement fait sur le suspect. Si les deux profils sont semblables, on en déduit que la trace biologique laissée sur les lieux du crime appartient bien à la personne mise en cause.

Bien entendu, la question que l’on peut se poser est la suivante : est-il possible que l’ADN tiré d’une trace (sang, sperme, salive, cellules cutanées...) corresponde au profil d’un individu, alors même que ce n’est pas cet individu qui a laissé cette trace ? Autrement dit : peut-il y avoir deux profils ADN issus de deux personnes différentes qui soient pourtant semblables ?

La réponse à cette question ne peut être que oui. Deux ADN différents peuvent donner deux profils ADN semblables justement parce que le profil n’utilise qu’une fraction de l’ADN et non l’ADN dans sa totalité. Si, donc, à l’exception des jumeaux homozygotes, on peut supposer que tout individu possède un ADN dit nucléaire (car originaire du noyau de la cellule) qui lui est propre, le profil ADN quant à lui n’est pas nécessairement unique. Si les différences entre deux ADN portent justement sur les zones qui n’ont pas été choisies comme marqueurs, elles n’apparaîtront logiquement pas dans les deux profils qui en seront tracés. Les deux profils pourront être semblables. La possibilité de ce que, dans leur jargon, les experts nomment les « faux positifs » ne peut donc être absolument écartée.