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Révolution agricole

Bruno PARMENTIER

Directeur de l’École supérieure d’agriculture (ESA), en France

Pour une révolution de la pratique agricole -

 

 Bruno PARMENTIER intervient dans les deux documentaires diffusés dans la soirée Thema

"Vers un crash alimentaire"  

 Ingénieur des mines et économiste, il est l’auteur d’un ouvrage de référence,

"Nourrir l’humanité", sur le défi alimentaire. Il en décrypte ici les enjeux.

Pourquoi n’a-t-on pris conscience de la crise alimentaire qu’en 2007 ?
Alors que huit des dix dernières années ont été déficitaires en céréales, les stocks préalablement constitués (environ six mois de consommation depuis des décennies) ont un temps permis de maintenir les cours à bas niveau, jusqu’à ce qu’apparaisse la réalité d’une légère pénurie. Or, quel que soit le prix, la demande des 6,5 milliards d’habitants sur la planète, elle, ne fléchit pas. Elle augmente même de 2 % par an, entre les 80 millions de « convives supplémentaires », la croissance de la consommation de viande et de lait par une partie de la population, notamment les classes moyennes d’Asie, et la production de biocarburants. En outre, au gâchis à la production dans le Sud – les récoltes pourrissent par insuffisance de transports et de stockage – s’ajoute celui, effrayant, à la consommation dans le Nord. Ainsi, en 2007, les courbes de croissance structurelle de la demande et celle de l’offre, dépendante des conditions climatiques, se sont croisées.

Comment vont évoluer l’offre et la demande alimentaire mondiale dans les prochaines décennies ?
Avec environ 3 milliards d’habitants en plus d’ici 2050, la demande alimentaire variera en fonction des continents. Afin que chacun mange à sa faim, il faudrait doubler la production agricole mondiale, mais en réalité la multiplier par 5 en Afrique, 2,3 en Asie et 1,9 en Amérique latine. L’offre peinera à suivre. Pourtant, le XXe siècle a enregistré certains succès en la matière. Ce n’est peut-être pas glorieux, mais alors que la population quadruplait, le chiffre de ceux qui souffraient de la faim est resté stable, à savoir 850 millions. On a donc produit plus, avec plus de ressources. Désormais, nous allons devoir faire plus, avec moins...


Moins de terres, mais aussi moins d’eau et d’énergie…
Les terres arables (1,5 milliard d’hectares soit 12% de la planète) ne sont pas extensibles. Bien que les réserves, essentiellement les forêts tropicales, soient mises en culture à un rythme déraisonnable, accélérant le réchauffement climatique, nous perdons plus de terres que nous n’en gagnons, à cause de la pollution et de l’urbanisation massive. La Chine, par exemple, perd 1 million d’hectares par an ! Si en 1960, nous mangions à deux sur un hectare de terre cultivée pour quatre aujourd’hui, nous serons six en 2050. De plus, le réchauffement de la planète accentue la sécheresse – depuis cinq ans, il ne pleut plus en Australie, qui était un grand pays exportateur de céréales – et les inondations. Avec d’énormes investissements, nous ne pourrons augmenter les 200 millions d’hectares irrigués sur la planète que de 20 %, tandis que le niveau des nappes phréatiques va baisser dans de nombreuses régions. Enfin, pour produire une tonne de blé, il faut près de 300 litres de pétrole, pour les engins, mais surtout pour les engrais et les pesticides. Les agriculteurs devront produire avec moins d’énergie. Dans le même temps, on leur demande de remplir les réservoirs avec les biocarburants. C’est un défi gigantesque.

Quelles solutions préconisez-vous ?
Au XXe siècle, on a artificialisé au maximum l’activité agricole, et notamment par la chimie, à travers les engrais, les fongicides, les insecticides et les herbicides.

Une solution coûteuse, tant sur le plan financier qu’en termes d’énergie, de pollution et d’impact sur la santé.

L’âge de la chimie pour l’agriculture est révolu.

Le XXIe siècle devra être celui de la biologie, et en particulier de l’agriculture à « haute intensité environnementale ».

 Il faut trouver des moyens de faire jouer à la nature le rôle des engrais et des pesticides, c’est à dire avoir recours à des associations de plantes qui se protègent et se nourrissent entre elles, et faire appel à la biodiversité : les vers de terre, excellents laboureurs, les abeilles, les bactéries, les champignons...

En outre, comme dans les régions tropicales, nous devrons récolter au moins deux fois l’an : une l’hiver pour nourrir la terre avec des plantes fixant le carbone et l’azote et économiser les engrais, et une l’été pour nourrir les hommes.

Cette révolution urgente de toute la pratique agricole implique de vastes programmes de recherches.

D’autant qu’il va falloir inventer des milliers d’agricultures, une par localité et par micro-climat…

Que pensez-vous du débat sur les OGM ?
Il est faussé, parce que les premiers OGM n’apportent pas de réelle solution et qu’ils ont été fabriqués par une multinationale américaine spécialisée dans les herbicides et les insecticides, Monsanto, dont le gouvernement américain a assuré des conditions favorisant le monopole, la privatisation du vivant et une impunité face aux dérives.

Mais les vrai enjeux sont autres, par exemple la mise au point de céréales moins consommatrices d’eau ou de plantes productrices de protéines ou de vitamines. Il peut y avoir des OGM « de vie ».

Tandis que l’Europe bloque sur la question, les OGM plantés dans le monde recouvrent déjà cinq fois la surface agricole française. S’il faut d’abord parier sur une agriculture à haute intensité environnementale, nous devons aussi lancer des recherches, publiques, sur les OGM. Car si les paysans échouent, la faim, elle, sera également très dangereuse quand elle engendrera émeutes et guerres.


Si dans l’imaginaire français, la faim est un phénomène urbain, ce sont en réalité des paysans qui meurent aujourd’hui de faim dans le monde, en silence.


Quelle est la responsabilité de l’OMC dans la crise alimentaire ?
Depuis vingt ans, la pensée unique a imposé l’idée qu’il fallait arrêter de soutenir les agriculteurs et ouvrir les frontières, pour une plus grande émulation. C’est pourquoi on a retiré à la "FAO"  l’organisation de l’agriculture mondiale pour la confier aux commerçants de l’"OMC".
On a ainsi expliqué aux États africains que s’acharner à faire de la nourriture ne servait à rien, puisque d’autres pays étaient plus efficaces pour produire. Au nom du remboursement de la dette, la Banque mondiale et le "FMI" ont découragé le soutien à l’agriculture vivrière, au profit de celle génératrice de devises : arachide, coton, café, cacao...
Cette politique s’est effondrée. Si dans l’imaginaire français, la faim est un phénomène urbain, ce sont en réalité des paysans qui meurent aujourd’hui de faim dans le monde, en silence. Il faut cesser de les empêcher de se nourrir eux-mêmes ! D’où la nécessité d’une sorte de « plan Marshall » pour reconstruire et soutenir l’agriculture vivrière et familiale dans ces pays. La paix mondiale sera à ce prix.

Propos recueillis par Sylvie Dauvillier