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« L’impartialité du juge »
A l’occasion du procès du surintendant Fouquet, Louis XIV, qui souhaitait que ce
dernier soit condamné à mort, s’est vu répondre par Olivier d’Ormesson, rapporteur dans
l’affaire : « Sire, la Cour rend des arrêts, non des services. ».
Cette anecdote témoigne de l’historicité de la nécessité d’avoir, au sein des juridictions, un
juge impartial.
Le principe de l’ impartialité est donc, une notion ancienne, d’abord traitée sur le mode "moral",
dont on peut y trouver des références dans les textes bibliques :
« Tu n’auras pas de partialité »
On peut également citer l’image de la justice, une femme aux yeux bandés qui tient le glaive et la balance.
Et encore : « tu ne feras pas fléchir la justice et tu n’auras pas égard aux personnes ; tun’accepteras pas de présents car les présents aveuglent les yeux du sage et compromettent la cause des justes
».La notion d’impartialité a donc clairement d’abord été marquée par des conceptions
moralistes, car, en toile de fond, se profilent en effet les qualités dont doit faire montre un
juge, de ce que doit ou devrait être un « bon juge ». C’est le fondement du bon
fonctionnement de la justice. Il s’agit véritablement d’anciens catalogues de vertus qui
s’inspiraient de l’idée selon laquelle une honnêteté et une rigueur d’exception sont demandées
au juge.
De nos jours, l’impartialité est entendue comme un principe fondamental qui doit
concerner tous les pouvoirs publics et non pas seulement les pouvoirs juridictionnels et qui
s’applique également au niveau des juridictions européennes.
Plus précisément donc, concernant la fonction juridictionnelle, l’exigence d’impartialité vise à
protéger la crédibilité et donc l’autorité de cette dernière.
Les garanties textuelles de l’impartialité
On pense bien évidemment tout d’abord à
l’ article 6 - 1er de la CEDH, qui pose lesexigences du procès équitable et dispose que :
«
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal ndépendant et impartial, établi par la loi »Mais il faut également citer l’
article 14 - 1 du Pacte international relatif aux droits civils t politiques.« Considérant, dès lors, que le principe d’impartialité applicable à toutes les juridictions fait obstacle à ce que le rapporteur d’une chambre régionale des comptes participe au jugement de comptes dont il a eu à connaître à l’occasion d’une vérification de gestion ; ».
Dans le vocabulaire courant, l’impartialité est définie comme « le caractère, la qualité de
quelqu’un qui est impartial ou de ce qui est juste, équitable
»et, plus généralement, comme " l’absence de parti pris ".
En définitive, ces définitions éclairent finalement ce qu’est le principe d’impartialité au sein des juridictions :
Une nécessaire garantie pour le respect des droits des justiciables, sans pour autant oublier par ailleurs que la justice est d’abord rendue par des Hommes ou Fermmes, avec leurs sensibilités et leurs faiblesses.
I ndépendance et impartialité
Ce sont des notions très proches, mais qui ne doivent pas être confondues.
L’indépendance,
« s’exprime en externe, par rapport à d’autres pouvoirs que le pouvoir judiciaire », alors que « l’impartialité est liée à l’organisation et au fonctionnement internes des juridictions. ».« l’indépendance est un préalable à l’impartialité ; on ne peut être impartial, si, déjà, on n’est pas
indépendant ».
Neutralité et impartialité
Ce sont certainement des notions où la frontière apparaît encore plus ténue.
En effet, la notion de neutralité implique l’idée d’une absence d’influences quelconques,
Quelqu’un de neutre étant quelqu’un qui se départit de toute contingence extérieure, quelle qu’elle soit.
Si ces notions sont interdépendantes, elles ne sont pas pour autant synonymes, la notion d’impartialité commande celle de neutralité.
L es dimensions de l’impartialité : Impartialité objective / impartialité subjective
Il s’agit d’une distinction bien connue qui a été établie par la Cour Européenne des
droits de l’Homme, notamment dans son arrêt de 1982, Piersack c/ Belgique, et qui a été
reprise par la suite.
- Impartialité objective : Elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite
personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier.
- Impartialité subjective : Conception classique qui renvoie à la conception personnelle du
juge, aucun des membres de la juridiction ne doit manifester de parti pris ou de préjugé
personnel.
On
peut considérer que l’impartialité suppose que les magistrats n’aient aucun lienavec les parties et qu’ils ne peuvent être leur propre juge :
«
Nul n’est juge en sa propre cause » et « Nul ne saurait être juge et partie ».Afin d’analyser l’application du principe d’impartialité au sein des juridictions:
donc, son application par le juge lui-même, il convient de partir d’un constat assez général de la perception commune du fonctionnement des juridictions.
Cela est dû aux origines historiques des juridictions administratives, qui mêlent encore
Ce constat amène finalement à apprécier l’impartialité du juge, ce qui est assez original, d’une manière partiale.
On analysera alors dans un premier temps,
en faisant fi de tout préjugé,
quelles sont les garanties permettant de rendre effectif le principe d’impartialité afin d’exclure tout doute légitime sur l’impartialité des membres d'une juridiction de la part des justiciables.
Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux problématiques soulevées quant à la
compatibilité de l’impartialité du juge et de la jurisprudence développée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
L
ES EXIGENCES DE L’IMPARTIALITÉ APPLIQUÉES AU JUGELe principe de l’impartialité du juge n’a jamais été réellement consacré explicitement par les textes, ni même au sein de la jurisprudence
Pour autant, il est véritablement garanti, tant au travers de garanties procédurales prévues par les textes et d’une jurisprudence construite par les juges eux mêmes.
Le principe d’impartialité a connu une évolution particulière concernant le juge des référéL e principe de l’impartialité appliqué.
Il existe des dispositions textuelles permettant de prévenir tout risque de partialité, et les jurisprudences suprèmes se sont employées à définir le champ de l’impartialité appliqué au juge. La prévention de la partialitéDeux procédures essentielles
- L a récusation
:L’objet de la récusation est de défendre toute partie contre un risque d’impartialité subjective au sein de la formation juridictionnelle, car elle touche aux relations entre le juge et l’une des parties au procès.
Elle peut viser n’importe quel membre du tribunal, y compris du Président.
« La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. ». « Le membre de la juridiction qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir se fait remplacer par un autre membre que désigne le président de la juridiction à à laquelle il appartient ou, par la Cour supprème ».Mes cas les plus fréquents de récusation sont : la parenté ou l’alliance, l’inimité notoire…
La récusation peut également concerner un membre d'une Cour Supprème, alors que, jusqu’à
présent, il n’existait aucune disposition spécifique devant cette dernière.
Néanmoins, il faut préciser que les conditions liées à une cause de récusation sont assez
dissuasives pour le justiciable :
rétablissement de l’obligation du Ministère d’avocat par xemple, et la demande doit se faire dès la connaissance de la cause de récusation et avant la fin de l’audience.
- L e renvoi pour cause de suspicion légitime :
Il s’agit d’un principe général de procédure.
Si une demande de récusation met la juridiction dans l’impossibilité de juger, cette demande
est alors traitée d’office comme une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime.
La Cour Supprème admet le principe d’un renvoi pour cause de suspicion légitime sans texte et
en application des règles générales de procédure.
La demande de renvoi ne saurait être admise que pour des motifs sérieux et graves.
Le renvoi pour cause de suspicion légitime est parfois inconciliable avec l’organisation de la
juridiction et doit être examiné devant la juridiction immédiatement supérieure.
- Devant toute juridiction spéciale unique puisque le renvoi est organisé devant une juridiction équivalente de même nature et même degré.
- Différents cas de partialité
Il y a une règle générale de procédure qui veut :
- qu’un membre d'une juridiction qui a publiquement exprimé son opinion sur un litige ne puisse participer à la formation de jugement statuant
- que le magistrat qui a participé au jugement d’un recours en rectification d’erreur matérielle,
participe ensuite à la décision qui en est l’objet.
Différents cas d’impartialités
- Le magistrat qui a participé à la formation de jugement de première instance statue à
nouveau sur le même litige.- Le magistrat qui a statué sur l’attribution d’une aide juridique se prononce ensuite sur le fond.
- Le juge du référé-suspension soit ensuite juge du principal.
L e principe d’impartialité et le juge des référés
2- La référence à l’« office du juge » des référés : l’acceptation du cumul desfonctions est discutable.
La nature de l’office du juge des référés : mesures conservatoires et provisoires, et instruction succincte et caractère limité de l’autorité de ses décisionsLa Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), ainsi que la
jurisprudence de la CEDH. En effet, l’article 6 § 1
er de la CEDH n’interdit, dans deuxhypothèses, le cumul des fonctions juridictionnelles au stade du provisoire et du fond que :
- quand la procédure provisoire constitue un préjugement,
C'est une question restée à ce jour sans réponse.
T ransition :L’impartialité du juge national, comme nous l’avons vu, a connu des évolutions et cela a été notamment le fruit de l’influence de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ces évolutions ne se sont pas faites linéairement,
elles ont été la conséquence d’un véritable dialogue entre les juges, et les Cours supprèmes qui
demeurent étanches à toute influence dans certains domaines.
Il nous faut, à présent, établir un panorama de ce dialogue entre les Ciyrs Supprèmes et la
CEDH à propos de l’impartialité du juge.
L ’
IMPARTIALITÉ DU JUGE FACE À LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L ’HOMMELes jurisprudences, ont dû évoluer nécessairement avec les influences, qui se sont faites de plus en plus pressantes ces dernières années, de la CEDH.
Cela a été notamment le cas avec l’importance de l’application de la théorie des apparences de la part de la CEDH
La « t héorie des apparences »1-
Sur la théorie des apparencesLa théorie des apparences provient du droit anglais, et est généralement illustrée par
un célèbre aphorisme prononcé par Lord Chief Justice Hewart dans un arrêt de la Chambre
des Lords de 1924
19 : « la justice ne doit pas seulement être rendue mais il doit être vu qu’ellea été rendue
». Il s’agit de l’idée que la justice est nécessairement un spectacle, où lespectateur, c’est-à-dire le justiciable, doit pouvoir en saisir tous les aspects avec tous les
artifices.
Ce qui pose ici essentiellement problème est que le commissaire du gouvernement est
un magistrat appartenant à la juridiction saisie, il n’est pas appelé à statuer, mais participe
pourtant au délibéré, avec une voix non délibérative.
Le Conseil d’Etat de la France maintient cette pratique, en dépit de sa condamnation par la CEDH
dans l’arrêt Kress c/ France du 7 juin 2001 (confirmé par d’autres arrêts : CEDH 21 mars
2002 Immeubles groupe Kosser c/ France et APBP c/ France ou encore par l’arrêt encore
plus récent Martinie c/ France).
La Cour fait encore une fois ici usage de la théorie des apparences en considérant que « le commissaire du gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles ».
On voit comme l’usage de la théorie des apparences est une application a maxima du
principe d’impartialité, dans un souci de garantir l’intérêt supérieur du justiciable. En effet, la
CEDH ne remet pas véritablement en cause l’institution même du commissaire du
gouvernement, mais critique sa neutralité..
En effet, la CEDH considère que c’est la simple assistance du commissaire du gouvernement au délibéré qui méconnaît les exigences de l’article 6 § 1er de la CESDH.
: A noter que la Cour de Cassation française a mis fin (depuis le 1er janvier 2002), à l’assistance
des avocats généraux au délibéré.
Une prise en compte progressive de l’ « apparence objective de neutralité »
La plupart des Cours Supérieures appliquent de plus en plus la conception européenne de l’impartialité, qui a été ainsi formulée : «
nul ne peut avoir l’apparence d’être juge en sa propre cause ». La Cour Européenne est particulièrement stricte en ce qui concerne le cumul des fonctions administratives juridictionnelles. Et concernant ette décision qui concerne le Conseil d’Etat luxembourgeois et la Cour CEDH juge que« le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisionsles deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle de ladite
institution
». D’autre part, il précise dans la même décision « qu’un membre du tribunal ne peut, dans la même formation, exercer successivement une activité administrative et contentieuse vis-à-vis du même acte ». Cela résulte de la mise en œuvre classique du principe de l’impartialité objective.Il s’agit du problème de la succession des fonctions consultatives et des fonctions
juridictionnelles, sanctionnée par la CEDH. Aucune disposition expresse n’est prévue.
- Le manque d’impartialité des membres du Conseil d’Etat, qui ont vocation à occuper
des fonctions dans l’administration active.
L'iompartialité objective « repose non seulement sur l’exigence naturelle que l’opinion des juges ne soit formée que par le procès et ne soit en rien influencée par des décisions ou des actes antérieurs mais aussi sur la nécessité que les parties puissent avoir la conviction qu’il en soit ainsi ».Les analyses précédentes concernant les fonctions du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation devant la CEDH, témoignent de certaines divergences d’opinion sur la conception de l’impartialité objective.
La question du respect du principe de l’impartialité par les juges est souvent affaire de conscience et de circonstances ».